Tout n’est (vraiment) pas dans le business plan
Jamais ces entrepreneurs n’avaient imaginé que ça leur arriverait en créant leur boîte. Ils avaient beau avoir tout mis à plat dans le business plan, le hasard et les rencontres finissent toujours par jouer des tours aux entrepreneurs. Souvent pour le meilleur.
C’est comme ça que l’histoire passe de banale à originale, du simple business plan à l’affaire extraordinaire : une rencontre ou une opportunité qu’on n’attendait pas, un coup de pouce ou un conseil qui transforme tout. C’est le pari qu’a fait Réseau Entreprendre Paris : mettre en relation des entrepreneurs de secteurs différents pour favoriser les synergies, les rencontres et l’humain, au delà de conseils pour renforcer sa stratégie d’affaires. Même si ça paraît risqué, l’idée est de remplacer le tuto par le réseau.
« Au départ, on était vraiment tous seuls, raconte Romain Beytout, co-fondateur de Theatre in Paris et lauréat 2016 de Réseau Entreprendre Paris. Entrer dans un écosystème d’entrepreneurs, ça nous a donné un coup de fouet. » Pour monter une boîte de surtitrage de pièces de théâtre pour touristes et expatriés, Romain Beytout, chanteur d’opéra, s’associe à deux amis, un ingénieur et un journaliste. Ils sont tous les trois amateurs de théâtre et novices dans l’entrepreneuriat. « On a pu entrer en contact avec des gens plus rapidement que si on n’avait pas été au Réseau » explique Romain Beytout. Il appuie également sur la dimension humaine du réseau : « Les échanges sont formidables car le réseau apporte de la bienveillance, où tous les sujets sont mis sur la table, loin du cliché du monde de requins que peut être l’entrepreneuriat. »
Cette bienveillance, Ludovic Girodon, co-fondateur de Paris ZigZag et lauréat 2016 de REP en a également fait l’expérience. « Tous les mois on se retrouve avec des entrepreneurs pour partager ses expériences, vider son sac, raconter ses emmerdes. Ça fait du bien psychologiquement, » se rappelle celui qui travaille désormais à temps plein pour le réseau. C’est aussi dans son club qu’il a trouvé un repreneur pour son entreprise Paris ZigZag, un site rassemblant une communauté d’amoureux de Paris autour d’une newsletter et de balades. Ludovic Girodon n’avait pas prévu de vendre si tôt, cinq ans après la création de son entreprise. « La première chose qui n’était pas prévu dans le business plan, c’était ma volonté de vendre, » raconte-t-il. Plusieurs raisons le poussent à prendre cette décision : le départ de son associée et la réalité d’un modèle économique aux résultats limités ont raison de sa motivation. « Le projet méritait quelqu’un qui soit à 10.000% et je n’étais plus la bonne personne pour le porter, » résume-t-il.
Ludovic part à la recherche d’un repreneur, contacte tous les potentiels acheteurs dont il a croisé le chemin pendant le développement de son entreprise. Mais la situation est délicate : on ne se trouve pas dans une position forcément favorable quand on cherche à vendre. Lorsqu’il annonce la vente de son entreprise et donc son départ aux membres de son club du réseau, Ludovic Girodon ne cherche à convaincre personne de faire une offre. « Le soir-même, Vincent (Dupuis, fondateur de MeetMeOut et lauréat de Réseau Entreprendre Paris) m’appelle. Je n’avais pas forcément pensé à mobiliser REP et pourtant, ça c’est fait comme ça », raconte Ludovic Girodon. Alors que des discussions sont en cours avec d’autres entreprises, il fait le choix de signer avec son camarade. « J’ai fait le deal avec Vincent parce qu’on se connaissait, qu’on avait confiance l’un envers l’autre et qu’on partageait les mêmes valeurs, celles du réseau. Notre appartenance au réseau a levé tous ces freins et facilité les choses », se souvient-il.
Règle n°1 : ne pas suivre son BP
Si on lui avait dit qu’une de ses premières créations, la suspension Vertigo, se vendrait à plusieurs dizaines de milliers d’exemplaires, Amélie du Passage n’y aurait jamais cru. Après presque dix ans d’existence, Petite Friture, agence de design d’intérieur dont elle est la fondatrice, emploie trente personnes et engrange plusieurs dizaines de millions d’euros de chiffres d’affaires. « On a beau faire des business plans, les choses ne se passent jamais comme prévu, » lance-t-elle dans un rire. Quand elle raconte son aventure, Amélie s’arrête sur une rencontre. « Une de ses plus belles collaborations », dit-elle. Au cours d’une visite à un fournisseur de pièces en céramique à Barcelone, elle fait la rencontre d’une jeune femme en fin de stage. Quand cette dernière rentre à Paris, elles se donnent rendez-vous. La jeune femme cherche du travail. Sans vraiment y réfléchir, Amélie l’embauche. « J’avais besoin d’aide mais je courais partout et n’avais pas le temps de m’en occuper. Elle avait le profil pile poil, elle était super humainement. Je me suis dit : “C’est une belle rencontre, on y va !” », se rappelle-t-elle. Cette collaboratrice restera quatre ans et sera une pièce maîtresse des premiers succès de Petite Friture.
Monter sa boîte c’est savoir faire feu de tout bois, même de relations oubliées ou recalées au ban des histoires d’amitié étudiante. En 2013, Antoine Le Conte a lancé Polabox (entreprise d’impression instantanée de photos, devenue Cheerz en 2015) depuis un an. Il apprend par le bouche à oreille qu’un ancien camarade de promotion de Dauphine vient de reprendre l’entreprise familiale d’impression papier. Le timing est parfait, après un an d’activité, Antoine Le Conte cherche encore la meilleure solution pour proposer un service efficace et de qualité. « Je n’avais pas de nouvelles de lui depuis cinq ans mais je me dis que ça peut être cool de faire des tests avec lui. Donc je l’appelle, on se revoit et aujourd’hui, Cheerz a racheté son entreprise et c’est lui qui est maintenant à la tête de notre usine d’impression avec cinquante employés ! » raconte dans un rire Antoine Le Conte.
Dans le business plan, on se doit d’être réaliste : même pour le best case scenario, il faut rester dans les clous de ce qui semble réalisable. Pourtant, être entrepreneur c’est savoir être ambitieux et prendre des risques. Ne pas suivre votre business plan peut donc s’avérer la meilleure des idées. Comme lorsque vous finissez par vendre votre entreprise à un poids lourd de l’industrie au lieu de vous cantonner à lever des fonds. C’est ce qui est arrivé à Bertrand Altmayer, co-fondateur de Marcel, service de chauffeur éthique et responsable. Trois ans après le lancement, l’heure est à la levée de fonds. Objectif : quelques dizaines de millions d’euros. Puis le groupe Renault les contacte. « Très rapidement, la discussion commerciale avec Renault s’est transformée en négociation pour la vente de la société, raconte-t-il. C’était pas du tout au programme : c’était quelque chose d’éventuel dans les années à venir mais pas à si court terme ! »
Pourquoi pas, aussi, se lancer à l’assaut de votre principal concurrent sur un coup de tête ? Après un voyage à New York organisé par Réseau Entreprendre Paris, Charles-Edouard Girard, directeur général de Guest To Guest, une plateforme d’échange de maisons ou d’appartements, n’arrive pas à dormir et appelle le fondateur Emmanuel Arnaud. « On devrait racheter HomeExchange ! » lui lance-t-il, excité. « A ce moment là, on n’a pas d’argent, on n’a pas les moyens de nos ambitions ! » se rappelle Charles-Edouard, toujours surpris et amusé par l’histoire. HomeExchange, c’est le leader mondial du secteur, qui engendre sept fois plus de chiffre d’affaires annuel que son concurrent français. Cerise sur le gâteau : Guest To Guest est sans le sou. Mais rendez-vous est pris. Evidemment, HomeExchange commence par leur rire au nez. Mais l’idée a fait son trou. Impossible pour les patrons de Guest To Guest de s’en défaire. Personne n’avait prévu ce scénario mais ils le feront quand même. Quelques semaines plus tard, Charles-Edouard et Emmanuel passent une semaine sur un bateau au large des côtes de Los Angeles avec l’investisseur principal d’HomeExchange. Un an plus tard, le deal était signé et Guest to Guest devient leader de son marché six ans après sa création. Parce que ses dirigeants avaient décidé de ne pas suivre leur business plan.
Texte : Célia Mebroukine
Extrait du Magazine Made In Réseau Entreprendre Paris, édité à l’occasion de 15 ans de Réseau Entreprendre Paris.
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