Pour le président de Réseau Entreprendre, la période d’incertitude économique actuelle les confronte à la solitude du dirigeant et va révéler leur énergie créatrice
Par Olivier de La Chevasnerie*
« On ne peut pas ne pas douter ! » : le séisme sanitaire et économique que nous traversons à cause du Covid- 19 illustre à quel point les fondamentaux des entrepreneurs ont évolué face aux arbitrages économiques et sociétaux qu’ils ont à opérer.
A l’image des Français qui, pour 82% d’entre eux s’inquiètent du devenir de l’économie dans un sondage Opinion Way du 23 mars dernier, les chefs d’entreprises sont également en proie à un profond doute. Un doute d’autant plus pressant qu’il renvoie le dirigeant à la solitude du capitaine devant une mer démontée barrant l’horizon. Qu’il soit artisan, à la tête d’uneTPE ou d’une PME, ce patron doit aujourd’hui opérer dans un contexte de crise sans précédent, des choix stratégiques qui peuvent, en l’espace de quelques jours, mettre en péril ou sauvegarder l’activité de son entreprise.
Ainsi, l’entrepreneur est contraint de penser contre lui-même en mettant en arrière-plan l’outil qu’il a construit et en reléguant son intérêt économique de court terme au second, voire au troisième ou quatrième plan ! En opérant ainsi, les récentes prises de positions des industries du bâtiment et des travaux publics en témoignent, l’entrepreneur tient d’abord à préserver son capital le plus précieux, le plus fiable d’entre tous : l’Humain. Une priorité qui passe, cela va sans dire, bien avant l’intérêt patrimonial du dirigeant. Cette capacité à réfléchir au-delà des échéances bancaires et de son intérêt personnel est le signe d’une pensée entrepreneuriale désormais affirmée et partagée.
Je suis frappé de voir, dans cette situation inédite, comme les chefs d’entreprise ont bien souvent devancé les recommandations de l’Etat en demandant à leurs collaborateurs de rester chez eux. Preuve s’il en était besoin que prendre soin de leurs salariés et de leurs familles est leur priorité. La santé de leurs collaborateurs et de leurs clients comme la préservation de l’environnement sont des préoccupations qui n’ont cessé de croître depuis 20 ans. Elle illustre le paradigme des nouveaux entrepreneurs que nous accompagnons chez Réseau Entreprendre qui n’envisagent plus de grandir sans tenir compte de leurs équipes, de leurs écosystèmes, de leurs consommateurs comme de la planète. Ils assument leur choix de préserver la santé de leurs salariés avant celle de leur entreprise.
Dans cette situation économique des plus précaires, unique dans l’histoire du capitalisme moderne, l’attitude naturelle de nombreuses entreprises n’a pas été celle du repli sur soi, mais de la solidarité. Dans un réflexe de survie, elles sont en effet nombreuses, à travers toute la France, à avoir offert à nos hôpitaux leurs stocks de masques et protections individuelles et qui font tant défaut au personnel soignant. Une fois ces ressources écoulées, d’autres sociétés se sont retroussées les manches notamment dans le secteur textile. La France a, en quelques jours à peine, transformé son outil de production pour fabriquer des masques de protection, des solutions hydroalcooliques, de l’hospitalité ou de la restauration pour ses soignants.
Bien entendu, la situation ne peut être tenable sur une durée trop longue. Il est probable que les entreprises les plus fragiles, malgré le plan de soutien significatif engagé par l’Etat, ne se relèvent pas si la situation sanitaire leur imposait une trop longue diète du chiffre d’affaires.
Chaque crise s’est révélée une occasion d’apprendre et le chef d’entreprise est avant tout un pragmatique qui dans sa solitude de décideur a la capacité à transformer son doute en une énergie de conquête. Il n’y a pas de réponse unique, dans une situation si complexe, à la question de savoir si nos PME doivent continuer à fonctionner. Il n’en reste pas moins que notre volonté est d’éviter l’asphyxie économique du pays et de préparer, dès à présent, la sortie de crise. Je côtoie des milliers de nos chefs d’entreprise, je connais leurs ressources et je crois en l’énergie créatrice qui les anime et en leur capacité d’apprentissage pour dépasser cette crise. »
* Olivier de La Chevasnerie est président de Réseau Entreprendre et de Sygmatel, une ETI nantaise de 350 salariés.