Emmanuelle Brun-Neckebrock, pouvez-vous nous parler de votre parcours professionnel ?
Je suis diplômée d’HEC et j’ai démarré ma carrière dans l’audit au sein du Cabinet Arthur Andersen où j’ai passé pratiquement 10 ans. J’ai rejoint le groupe SAP comme contrôleur de gestion de la région Europe du Sud et je suis assez rapidement devenue Directeur Financier de la filiale française. J’ai par la suite pris des fonctions régionales sur la région EMEA et ai finalement décidé de revenir sur la France à la naissance de mon deuxième enfant, il y a un peu plus de 10 ans.
Je suis aujourd’hui Directeur Financier et Directeur Général Délégué des filiales du groupe SAP en France, également responsable de nos activités en matière de développement durable.
Mon métier d’aujourd’hui n’a plus grand chose à voir avec celui que j’exerçais à mes débuts chez SAP, la taille de la société a plus que doublé, en France nous sommes passés de 500 à un peu plus de 2000 personnes, enfin l’organisation des fonctions régaliennes dont la Finance a été significativement modifiée et fortement globalisée. Aujourd’hui dans mon quotidien la part des techniques financières a été beaucoup réduite au profit du pilotage général de l’entreprise.
Avez-vous éprouvé en tant que femme des freins personnels à votre carrière ? Si oui, lesquels ? Et quels ont été les moyens mis en place pour lever ces freins ?
J’ai toujours évolué dans un milieu plutôt masculin , depuis le lycée , section scientifique au fin fond de mon auvergne natale , il y 35 ans , nous étions 2 filles sur une classe de 30 ! puis une prépa et une grande école , et cela ne m’a jamais gênée , au contraire j’estime avoir bénéficié de beaucoup de bienveillance de la part de mon entourage masculin sans pour autant avoir développé une passion pour le foot ou le rugby !
Là où la situation a un peu basculé, c’est à la naissance de mes enfants, pas tant dans ma capacité à tout mener de front sur le plan matériel car j’ai eu la chance d’être bien aidée, et je suis dotée de pas mal de résistance et d’une bonne capacité d’organisation, mais plutôt sur le plan émotionnel.
J’ai besoin de partager le petit-déjeuner de mes enfants, d’être là pour consoler leurs chagrins et leur faire réciter leurs poésies, de les accompagner à leurs rendez-vous médicaux …
Je ne sais pas s’il faut parler de freins ou de mise en cohérence, mise en cohérence de nos choix de carrière avec qui nous sommes et les valeurs que nous souhaitons incarner.
Il m’a fallu un peu de temps pour comprendre qu’il n’est pas forcément nécessaire de sillonner le monde pour s’épanouir professionnellement et que les carrières ne sont pas forcément linéaires !
Quelles sont les selon vous les raisons du faible niveau de présence des femmes dans les instances et les obstacles auxquels elles font face pour accéder à des postes de pouvoir ?
En France , nous avons la chance d’avoir un référentiel réglementaire qui pousse les entreprises à faire évoluer leur modèle de gouvernance pour le rendre plus inclusif .
La loi Copé-Zimmermann, adoptée en 2011, qui a fixé un quota de 40 % de femmes dans les conseils d’administration, a porté ses fruits : avec 43,6 % de femmes dans ces instances de gouvernance, la France est championne du monde !
Et pourtant , les femmes restent encore aux portes du pouvoir et les comités exécutifs (comex) ou de direction (codir) sont encore largement composés d’hommes. Les femmes ne représentent que 22 % des effectifs au sein de ces comités contre 13,4 % il y a 5 ans . Espérons que la pression réglementaire induite par l’adoption récente de la loi Rixain contribue à l’accélération nécessaire .
La conformité réglementaire ne peut cependant pas être l’unique moteur de la diversité .La clef est certainement d’asseoir et de partager la conviction que la diversité est source d’innovations durables, et que pour mieux répondre aux challenges du monde de demain, il faut intégrer toutes les parties prenantes.
Il faut probablement s’interroger à la fois sur la rétention et le développement des talents féminins, mais aussi sur l’attractivité des postes à responsabilité , qui ne doivent pas être synonymes de renonciation à certaines valeurs .
A cet égard , il me parait capital de travailler sur la culture managériale et sur la flexibilité des trajectoires , en acceptant d’alterner les paliers et les phases ascendantes en fonction des moments de vie et de développer des alternatives au up or out.
Selon vous, quel est l’impact de la présence des femmes dans la gouvernance des organisations sur les décisions ?
Nous sommes actuellement dans un environnement caractérisé par des changements technologiques , sociaux et environnementaux majeurs et de plus en plus rapides. Nous pensons d’ailleurs chez SAP que nous sommes en réalité face à la 3eme vague de transformation économique globale, et que les business modèles qui ne répondent pas aux exigences d’inclusion sociale , de transparence et de respect de l’environnement sont condamnés à disparaitre.
La transition vers le modèle économique et social de demain requiert une refonte profonde de la culture et des opérations de l’entreprise et demande d’agir à tous les niveaux de l’organisation pour se réinventer .
Les leaders de demain sont ceux et celles capables d’incarner cette culture de l’innovation et de l’apprentissage continu , dans un contexte de plus en plus complexe et volatile .
La diversité m’apparait comme l’élément le plus critique de la mise en œuvre d’une culture et d’une stratégie d’innovation .
J’ai d’ailleurs envie de croire que les nominations récentes de femmes à la tête de géants du CAC 40 s’inscrivent dans cette vague de changement .
Le Figaro a écrit en 2011 : SAP met son énergie au service des femmes ? Au-delà du jeu de mot original, pourriez-vous nous expliquer comment ?
La diversité et le respect sont des valeurs fondamentales pour le groupe SAP. Impulser le changement et faire bouger les lignes font partie de nos ambitions .
L’année dernière, la région Europe du Nord , dont la France, a agi en tant que pilote mondial pour une initiative incroyablement passionnante et importante – le défi du leadership inclusif consistant en la mise à disposition des managers d’une plateforme interactive composée de nudges et de micro learning sur le comportement inclusif afin de challenger son comportement dans le cadre de mises en situations réelles.
Le projet pilote a été un énorme succès, recevant un grand niveau d’engagement et de retours positifs, ce qui a conduit à un déploiement mondial sur l’ensemble de nos activités commerciales.
De nombreuses études montrent que les interventions ponctuelles ne modifient pas le comportement et la culture,
En réponse, la plateforme propose un flux constant de micro-apprentissages et de mises en situation afin de mettre en pratique un nouveau mode de leadership plus inclusif.
Nous avons également participé à la définition de la charte « Femmes & IA » du Cercle InterElles . Celle-ci vise à lutter efficacement contre les risques de biais cognitifs discriminants lors de la conception ou lors de l’utilisation de solutions ou de dispositifs à base d’intelligence artificielle.
Enfin , nous avons beaucoup travaillé en lien avec nos partenaires sociaux sur l’égalité professionnelle et sommes fiers de l’amélioration enregistrée cette année où nous SAP affichons un Index de 89/100 en 2022au titre de l’année 2021, versus 76/100 l’an dernier.
Nous ne sommes pas au bout du chemin , il reste beaucoup à faire , mais nous y croyons et on avance !